La période de crise et la retraite des Turcs en Anatolie centrale
Comme son père, Kilij Arsalan laissa le trône de Konya sans propriétaire à sa mort. Son fils aîné, Shahinshah, alors gouverneur de Mossoul, fut emmené à Ishfahân en tant que prisonnier, et ne put retourner à Konya, pour devenir Sultan, jusqu’en 504 (1110). Profitant de cette période de crise, les Byzantins prirent l’initiative d’attaquer toutes les zones côtières d’Anatolie. Partout, les Turcs se préparèrent à se déplacer vers le plateau central d’Anatolie. Mais leur retraite leur coûta de grandes pertes. Une grande foule de Turcs qui campaient près d’Ulubad (Lopadion), en route vers le centre de l’Anatolie, furent attaqués par les Byzantins. La plupart d’entre eux, y compris les femmes et les enfants, furent massacrés. Malgré quelques contre-attaques réussies de l’émir Hassan de Cappadoce et de Shahinshah qui régnaient à Konya, la retraite générale ne put être arrêtée. Alexis et son successeur, Jean II, soit expulsèrent les Turcs de l’ouest de l’Anatolie et des régions côtières du nord et du sud, soit les détruisirent.
Le souverain Danishmand l’émir Ghazi, 449-529 (1105-34), le fils de Koumoushtakin, aida son gendre Mas’oud à prendre le trône à Konya de son frère Shahinshah en 510 (1116), et ainsi l’État Seljouk fut réduit à un petit royaume, limité aux environs de Konya, sous la protection Danishmand. Dans ces circonstances, l’Empereur Jean II (1118-43) continua ses attaques, vainquit les Turcs et occupa les villes de Denizli (Laodice) et Uluborlu (Sozopol). Mais en 514 (1120), l’émir Ghazi, profitant des opérations byzantines dans les Balkans et avec le soutien des Artouqid, vainquit le Duc de Trébizonde et son allié, le dirigeant Menqouchek, à Shiran. Bien que le Sultanat fût entre les mains des Seljouk, les vrais dirigeants de l’Anatolie étaient alors les Danishmand. Lorsque l’autre frère du Sultan Mas’oud ‘Arab, qui s’était installé à Ankara et Kastamonu, marcha sur Konya pour s’emparer du trône Seljouk en 520 (1126), Mas’oud forma une alliance avec l’Empereur et vainquit son frère, le forçant à se réfugier en Cilicie. Cela permit aux Byzantins d’occuper Kastamonu. Mais l’expédition de l’Empereur en Cilicie, et plus tard les tentatives de son frère pour s’emparer du trône, aidèrent l’émir Ghazi à chasser les Byzantins et à occuper la rive de la Mer Noire. Le Sultan Mas’oud, d’autre part, commença à avancer dans l’ouest de l’Anatolie. L’émir Ghazi entra alors en Cilicie et vainquit les croisés en progression. En peu de temps, il devint le dirigeant de toutes les provinces anatoliennes entre la Sakarya et l’Euphrate.
Le calife[1] et le Sultan Sanjar lui confèrent le titre de Malik (roi) et lui envoyèrent un tambour et un étendard comme emblèmes de souveraineté, étant le dirigeant le plus puissant d’Anatolie.
À la mort de Malik Ghazi en 529 de l’Hégire (1134), le Sultan Mas’oud, jusque-là sous sa protection, devint l’allié et l’égal du fils de son protecteur, Malik Muhammad. Tandis que l’Empereur Jean punissait les Arméniens en Cilicie et se disputait avec les croisés, les Seljouk et les Danishmand n’eurent aucune difficulté à étendre leurs frontières contre les Byzantins. Cela fit marcher l’Empereur en 534 (1140) vers la capitale danishmand, Niksar, avec une grande armée, afin de détruire les Turcs d’Anatolie. Il était également déterminé à se débarrasser de Théodore Gabras, le Duc de Trébizonde. Il atteignit Niksar après avoir subi de lourdes pertes dans le nord de l’Anatolie, et assiégea la ville.
Pendant le siège, de longues et violentes batailles eurent lieu entre les Turcs et les Grecs. La prolongation du siège provoqua des troubles dans l’armée byzantine et l’un des princes impériaux, Jean, se réfugia dans le camp du Sultan Mas’oud. La désertion du prince, devenu Musulman et installé à Konya après avoir épousé la fille du Sultan, contraignit l’Empereur à revenir tranquillement à Constantinople par la Mer Noire en 1141. L’échec de cette grande campagne, qui avait commencé si ambitieusement, ouvrit des possibilités de nouvelles conquêtes turques et le Sultan Mas’oud s’avança jusqu’à la région d’Antalya.
Lorsque les Danishmand commencèrent à se quereller entre eux pour la royauté sur Malik Muhammad, décédé en 536 (1142), Sultan Mas’oud vainquit le Malik Danishmand de Sivas, Yaghi Bassane, assiégea Malatya et annexa la région Jayhan de son territoire. Avec ce développement soudain, la domination de l’Anatolie passa à nouveau des Danishmand aux Seljouk. Tandis que le Sultan Seljouk étendait ses frontières vers l’est, profitant des querelles entre les Atabegs de Mossoul et les Artouqid, les Turcomans avançaient dans l’ouest de l’Anatolie, en suivant les vallées des Menderes et du Gediz. L’Empereur Manuel I Comnène partit avec une grande armée pour chasser les Turcs d’Anatolie. Après avoir débarrassé l’Anatolie occidentale des Turcs, il marcha sur Konya ou il vainquit les forces Seljouk à Akshehir, brûla la ville et avança en direction de Konya. Lorsque le Sultan Mas’oud fut informé du danger imminent, il revint précipitamment de l’est, prépara son armée à Aksaray et rencontra l’Empereur avant Konya. Les Byzantins avaient complètement dévasté la région de Konya, tué un grand nombre de personnes et même ouvert des tombes. Mais ils furent pris par surprise lorsque les Seljouk les attaquèrent. Ils se retirèrent après avoir été sévèrement battus, et ainsi la campagne 1147 se solda également par un échec. Malgré cette bataille, cependant, le début d’une nouvelle croisade contraignit aussitôt les deux dirigeants à se mettre d’accord face au danger commun.
Lorsque l’Atabeg ‘Imad ad-Din az-Zanki (puisse Allah Exalté lui faire Miséricorde) reconquit Urfa (Edessa) en 539 (1144), la deuxième croisade fut organisée en Europe sous la direction de l’Empereur Conrad III et du Roi Louis VII de France. Ce fut la première fois dans l’histoire des croisades que les dirigeants eux-mêmes participeraient à la campagne. L’armée allemande qui était dirigée par des guides « perfides » de l’Empereur byzantin Manuel par de mauvaises routes, subit des attaques surprises des Turcs et fut massivement vaincue près d’Eskishehiron le 28 Joumadah al-Oula 542 (25 octobre 1147) ; certains de ceux qui tentèrent de rentrer furent détruits par les attaques grecques. À la suite de ce grand désastre, le Roi de France se rendit compte de l’impossibilité de traverser le territoire Seljouk et essaya de suivre la route via Éphèse, Denizli et Antalya. Mais il ne put atteindre Antalya qu’après avoir subi de lourdes pertes lors des attaques turques, et là seuls ceux qui avaient de l’argent purent naviguer vers la Syrie. Ceux qui furent laissés pour compte souffrirent des attaques turques, du pillage grec, de la faim et de la maladie. Leur état était si mauvais que les Turcs eurent pitié d’eux, leur donnèrent de la nourriture et de l’argent et soignèrent leurs malades.
Un chroniqueur chrétien parle ainsi de l’épisode :
« Fuyant leurs coreligionnaires qui avaient été si cruels envers eux, ils allèrent en sécurité parmi les infidèles[2] (lire Musulmans) qui avaient pitié d’eux, et, comme nous l’avons entendu, plus de trois mille se joignirent aux Turcs lorsqu’ils se retirèrent.
Oh, bonté plus cruelle que toute trahison ! Ils leur donnèrent du pain mais leur volèrent leur foi, bien qu’il soit certain que satisfaits des services qu’ils rendaient, ils n’obligeaient personne parmi eux à renoncer à sa religion. »
Lutte pour le pouvoir et la victoire de Kilij Arsalan II
Après avoir vaincu l’armée byzantine avant Konya et les armées de la deuxième croisade, qui menaçaient le Monde Musulman, à l’intérieur de ses frontières, le Sultan Mas’oud devint l’un des dirigeants les plus puissants de son temps. Avec ces victoires, la période de crise prit fin pour les Turcs d’Anatolie, et une ère de stabilité et de progrès commença. Le calife abbasside envoya les emblèmes de souveraineté au Sultan Seljouk, tels qu’une robe d’honneur, un étendard et d’autres cadeaux, avec sa bénédiction. Suite à ces victoires, Sultan Mas’oud vainquit les croisés en Syrie et par ses campagnes de 544 et 545 (1149 /1150), et la conquête de Mar’ash, Göksun, Ayntab, Raban et Delouk, conduisit les croisés loin de ces régions.
Le Malik (Roi) de Sivas, Yaghi-Basane, avait, quant à lui, élargi ses frontières vers la Mer Noire et capturé Bafra (Pabra). Après avoir pris les Danishmand de Sivas et Malatya sous sa suzeraineté, le Sultan Mas’oud entra en Cilicie avec leur soutien et en 549 (1154) captura plusieurs villes arméniennes. La conquête planifiée de l’ensemble de Cilicie fut empêchée par une épidémie de peste, qui fit immédiatement revenir le Sultan. Il mourut en 551 (1155). Le Sultan Mas’oud qui, pendant son long règne, sauva l’État Seljouk de l’anéantissement par sa politique clairvoyante et ses efforts patients, le transforma également d’un état confiné aux environs de Konya en une puissance dominant l’Anatolie. Grâce à son administration juste et efficace, il gagna même certains Chrétiens de Byzance. La politique de construction et la mise en place de services sociaux dans l’État Seljouk commencèrent également sous son règne.
Son fils Kilij Arsalan II, 551-88 (1155-92), qui lui succéda sur le trône, poursuivit la politique de son père et travailla pour l’unité politique et l’amélioration économique et culturelle de l’Anatolie. Kilij Arsalan II, qui occupe une place exceptionnelle parmi les Sultans Seljouk, fut menacé d’alliances hostiles dans ses premières années. Il dû d’abord se battre contre son frère Shahinshah, le Malik de Kastamonu et Ankara, et le Malik Danishmand Yaghi-Basane. Profitant de ce conflit interne, l’Empereur Manuel et l’Atabeg Nour ad-Din Zanki formèrent une alliance contre Kilij Arsalan en 1159. Le prince arménien Thoros ne manqua pas non plus cette occasion d’attaquer les Seljouk. Face à tant d’ennemis et d’alliances, Kilij Arsalan se rendit à Constantinople, le centre de ces manœuvres politiques. L’Empereur, conformément à la politique byzantine d’encourager la destruction mutuelle des dirigeants turcs, signa un traité avec le Sultan Seljouk et lui fournit une aide financière. Après son retour de Constantinople, Kilij Arsalan marcha immédiatement pour se battre avec Yaghi-Basane et le vainquit massivement en 559 (1163). Il se débarrassa ensuite de son frère et d’autres émirs Danishmand. L’émir Zanki fut également contraint de retourner au Sultan les lieux qu’il avait conquis. Le Menqouchek beylik reconnut la domination du Sultan, et ainsi la monarchie Seljouk s’étendit de nouveau du Sakarya à l’Euphrate.
L’Empereur Manuel, qui était occupé dans les Balkans, fut troublé lorsqu’il se rendit compte que Kilij Arsalan avait considérablement augmenté ses forces en se débarrassant de tous ses ennemis. Sous prétexte de contrôler les attaques et les conquêtes turcomanes en Anatolie occidentale, l’Empereur organisa une armée pour expulser les Turcs d’Anatolie et marcha sur Konya. Il refusa également l’offre du Sultan de renouveler le traité, qui avait duré douze ans. Kilij Arsalan conduisit donc son armée devant Akshehir, et rencontra les forces byzantines à Myriokephalon, un col escarpé et étroit au nord du lac Eğridir, où en Rabi’ al-Awwal 572 (septembre 1176), il leur infligea un coup désastreux. Il fut possible de capturer l’Empereur et d’anéantir l’armée byzantine, comme à Manzikert, mais pour une raison inconnue, le Sultan accepta la demande de paix de l’Empereur et se contenta de réajuster favorablement ses frontières. Il fournit même à l’Empereur trois émirs Seljouk comme escorte, pour le protéger contre les attaques turcomanes lors de son voyage de retour. Avec cette deuxième grande victoire après Manzikert, Kilij Arsalan mit fin aux illusions byzantines séculaires de récupérer l’Anatolie des Turcs et de la traiter comme faisant partie de l’Empire byzantin. L’empire qui avait été à l’offensive et en progression depuis la première croisade, revint alors à un déclin et une retraite continue, comme dans la première période des conquêtes turques. L’importance de cette victoire, comme celle de Manzikert, fut appréciée en son temps, et les poètes de Bagdad la célébrèrent comme une bonne nouvelle.
L’Anatolie était vraiment devenue une terre des Turcs. À la fin du XIIe siècle, on l’appelait déjà « Turquie » dans les sources occidentales.
Après cette victoire, Kilij Arsalan envoya ses forces d’invasion jusqu’à la mer dans l’ouest de l’Anatolie, conquit les régions d’Uluborlu, Kütahya et Eskishehir en 578 (1182) et assiégea Denizli et Antalya. Grâce à ces victoires, l’unité politique, la loi et l’ordre furent établis en Anatolie et une période de progrès économique et culturel débuta. Après une longue vie de lutte, Kilij Arsalan, qui se sentait fatigué et vieux, partagea son royaume entre ses onze fils, suivant la politique traditionnelle turque, et se retira en 582 (1186) à Konya en tant que Sultan reconnu. Ces Moulouk (Pluriel de Malik) qui régnaient indépendamment dans les provinces, poursuivirent leurs conquêtes contre l’Empire Byzantin affaibli. Le Malik de Tokat, sous Souleyman, marcha sur la rive de la Mer Noire et conquit Samsun. Le Malik d’Ankara, Mas’oud, conquit les régions de Bolu et le Malik d’Uluborlu, Kay-Khousraw, conquit la vallée de la Menderes.
Lorsque Frédéric I Barbarossa, l’Empereur allemand, entra en territoire Seljouk à la tête de la troisième croisade en 1190, le vieux Kilij Arsalan avait déjà perdu son pouvoir et fut témoin de la rivalité entre ses fils. Il y eut des alliances hostiles entre Kilij Arsalan et l’Empereur Allemand et entre l’Empereur Byzantin et Salah ad-Din (al-Ayyoubi). Lorsque la troisième croisade fut organisée, à la suite de la prise de Jérusalem par Salah ad-Din et de la défaite du royaume latin, Frédéric obtint de son ami Kilij Arsalan la permission de traverser l’Anatolie. Mais à la frontière Seljouk, la grande armée allemande fut d’abord impliquée dans la guérilla turcomane, puis à Akshehir avec les armées de Malik Shah et Mas’oud, les fils du Sultan. Bien que l’intention de Frédéric fût d’atteindre la Syrie en passant directement par la Cilicie, il fut contraint pour des raisons de sécurité et de ravitaillement d’avancer vers Konya. Les Moulouk Seljouk ne purent pas arrêter l’armée croisée. La périphérie de Konya fut occupée, les marchés pillés et détruits. Le Sultan qui vivait dans son palais envoya un ambassadeur auprès de l’Empereur lui proposant la paix, avec l’excuse que la responsabilité et le pouvoir étaient entre les mains de son fils Malik Shah. L’Empereur lui répondit que sa cible n’était pas l’Anatolie, mais Salah ad-Din et Jérusalem. Un traité fut donc signé et il quitta l’Anatolie.
[1] Nous n’attribuons pas de majuscule au mot calife puisque les seuls Califes dignes de Majuscules furent les 5 premiers Califes et l’Islam ainsi que le Calife Amawi ‘Abd al-‘Aziz Ibn Omar nommés à l’unanimité par les savants de l’Oummah comme les Califes Bien-Guidés. Nous avons déjà mentionnés cela dans nos précédents ouvrages.
[2] Si les Musulmans qui adorent un Seul Dieu sont traités d’infidèles que dire alors de ceux qui adorent la Trinité 1+1+1=1 ! Ils sont trois fois des impies !