OTTOMANS
Cette narration de l’histoire est tout aussi fallacieuse en ce qui concerne sa description de l’Afrique du Nord comme un repaire de pirates, où la seule richesse provenait de la navigation chrétienne pillée.
Les villes côtières florissantes et cités d’Afrique du Nord
Comme écrit Fisher :
« Il n’y a aucune justification dans les documents contemporains pour l’une ou l’autre des affirmations contradictoires selon lesquelles l’arrivée des Turcs fut une irruption gratuite dans une scène de tranquillité méditerranéenne, ou que les habitants de Barbarie étaient jusqu’alors de simples sauvages et pirates. La déclaration de Finlay que les Turcs chassèrent « les féroces corsaires d’Afrique » n’a clairement aucune base en fait. L’allégation d’un autre auteur victorien,[1] évidemment influencé par Prescott et fréquemment répétée par d’autres auteurs, que « jusqu’au début du seizième siècle, ces petits royaumes interféraient mais rarement dans la politique de l’Europe et leur existence même était peu connu et aussi peu « souciant » représente une déformation fondamentale d’un fait bien authentifié. Il est clairement contredit par les preuves des registres municipaux, consulaires et commerciaux, qui auraient pu facilement être étudiés dans les travaux bien connus de Campany, Pardessus, Depping, Mas-Latrie, et autres.[2]
En effet, c’est un mythe généralisé que tous les musulmans d’Afrique du Nord étaient capables, ou responsables de l’activité pirate et que leurs villes et cités côtières n’étaient seulement que des repaires de pirates, aggravés par l’arrivée turque dans la région, jusqu’à ce que l’Occident chrétien intervienne et les « civilisa » en oubliant qu’à l’époque où les rues de Cordoue étaient illuminées la nuit et que les bains publics fleurissaient, en Europe on se débarrassait de sa crasse en se grattant avec ses doigts et le savon était punit par l’inquisition. Loin de là. Ce qui est abondamment montré dans cette rubrique, c’est qu’au cours des siècles, les villes musulmanes étaient les plus accueillantes pour les chrétiens. Les musulmans offraient aux commerçants chrétiens et autres représentants ou voyageurs, toutes les facilités et exigences nécessaires pour la sécurité et le libre-échange, quelque chose qui n’a jamais été réciproque du côté chrétien.
Avant, cependant, de regarder la place des villes et des cités nord africaines dans la promotion du commerce et des échanges au cours des siècles supposés obscurs, il est important de rappeler, même très brièvement, le rôle principal joué par les musulmans, ailleurs qu’en Afrique du Nord. Le commerce méditerranéen vivait durant les siècles où la chrétienté occidentale était enfermée dans ses âges de ténèbres.
L’« âge des ténèbres » de la chrétienté occidentale est estimé avoir commencé lorsque l’empire romain s’effondra au cinquième siècle après les invasions barbares. Cet effondrement dans l’âge des ténèbres affecta toutes les sphères socio-économiques et culturelles. Par une coïncidence remarquable, peu de temps après que la chrétienté occidentale ait été la proie de la décrépitude, l’Islam se leva et dans son sillage, une civilisation formidable prospéra dans tous les aspects.[3] Le Prophète (sallallahou ‘aleyhi wa sallam) qui était un marchand, tout comme beaucoup de ses compagnons, inspira la communauté musulmane à considérer le commerce et l’échanges avec une grande faveur. Il ne fallut pas longtemps avant que les commerçants musulmans et hommes d’affaires parcouraient les terres, les mers, les océans et les déserts, de la Chine à l’Espagne, à la recherche d’échanges et d’opportunités d’affaires.[4] L’impact d’une telle ferveur islamique sur le commerce joua en fait un rôle décisif dans l’essor de notre système moderne d’affaires, de commerce et de finance.[5]
L’une des contributions les plus dynamiques des musulmans fut de relancer le commerce et les échanges alors au point mort, dans et autour de la Méditerranée. L’un des rôles les plus décisifs et déterminants du commerce méditerranéen fut joué par l’Alexandrie musulmane. Son port était un lien principal dans le réseau d’échange est-ouest. Un témoin, le pèlerin chrétien Arculf (fin du septième siècle), qui, passant par Alexandrie, trente ans après la prise de la ville par les musulmans, rencontra d’innombrables races achetant des provisions.[6] L’Alexandrie médiévale était l’endroit où les marchandises d’Orient atteignaient l’Occident ; le principal centre commercial, le « forum publicum utrique orbi » comme l’appelait William Tyre.[7] Au cours des onzième et douzième siècles, les principaux produits d’exportations de l’Egypte était le lin et la toile de lin, des marchandises très recherchés par les commerçants européens et maghrébins qui fréquentent les marchés du Caire et d’Alexandrie.[8] Selon al-Idrisi (1100-1165), les principaux articles de commerce étaient le musc, le poivre, la cardamome, la cannelle, le galanga (khalanj), le myrobolan, le camphre, la noix de coco, la muscade, l’aloès, l’ébène, les coquilles, l’ivoire, la porcelaine, qui venaient tous d’Asie, de même que les encens, la myrrhe, les baumes et le benjoin apporté d’Hadramaout, de Somaliland ou du Soudan ; les épices et particulièrement le poivre (une des portes d’Alexandrie était appelée la Porte du Poivre.)[9]
La Sicile musulmane était aussi un lien important pour le commerce et les échanges. A la fin du dixième siècle et début du onzième, Udovitch explique que la Sicile était au cœur de l’expansion de l’activité commerciale dans le monde méditerranéen.[10] Avec la Tunisie, la Sicile était à l’intersection de plusieurs routes commerciales importantes. Les caravanes de Sijilmasa au sud du Maroc, transportant des marchandises africaines et marocaines, firent leur chemin vers la Tunisie, et de là, ces produits trouvaient leur chemin vers les marchés de Palerme et Mazara. La Sicile servait d’intermédiaire commercial entre l’Espagne musulmane et l’Orient musulman, et les navires qui voyageaient entre les deux extrémités de la Méditerranée se rendaient régulièrement dans ses ports.[11] Pour les marchands européens (principalement italiens) à la recherche de produits orientaux (lin, sucre, textiles d’origine égyptienne, poivre, épices, herbes médicinales, etc.), les marchés de Palerme et Mazara (ainsi que ceux des villes côtières tunisiennes) étaient plus proches et plus accessibles que ceux de la Méditerranée orientale.[12] Depuis au moins la fin du dixième siècle, la Sicile était un grand producteur de soie brute et tissée, qui était activement commercialisé dans le commerce méditerranéen. Sa monnaie d’or, le Ruba’ya, ou quart de dinar, était très estimée, très demandée en Egypte et dans les villes commerciales de Syrie et de Palestine.[13]
L’Espagne musulmane était également un puissant relais entre l’Orient et l’Occident, en tant que Constable dans son excellent travail sur les salons commerciaux du pays. Al-Andalous était un canal important par lequel les épices orientaux, les métaux précieux, les textiles, le papier et d’autres articles coulaient en Europe, et avant le réveil européen au Moyen Age central, les marchés andalous fournissaient beaucoup de « bonnes choses » en Europe dans la vie chrétienne occidentale.[14]
La plupart des échanges musulmans avec le monde méditerranéen non musulmans étaient avec les Italiens.
Tout au long du 9e siècle, notes Kreutz, dans la splendeur culturelle et la richesse, le monde méditerranéen islamique rivalisait avec, et à certains égards dépassait Byzance, et malgré les raids musulmans, la relation sud-italienne avec la sphère islamique augmenta en prospérité, au moins d’une grande partie de Campanie.[15] Il semble probable qu’au dixième siècle, de nombreuses églises régionales furent embellies avec des objets rapportés du monde musulman même si les références documentées ne commencent seulement qu’au début du onzième siècle et mentionnent principalement les textiles « espagnols » ou « maures.[16] »
L’historien musulman, Ibn Hayyan (d. 1076), mentionne un traité de paix et de sécurité commerciale négocié entre les Omeyyades et les comtes de Barcelone en 939, et décrit une visite à Cordoue de marchands amalfitains à 942.[17] Ibn Hayyan poursuit en disant qu’après cette visite amalfitaine réussie, « leurs successeurs, » continuèrent de venir en al-Andalous et firent de grands profits.[18] Les registres de la seconde moitié du douzième siècle contiennent environ une cinquantaine de contrats pour des voyages génois dans les ports andalous ou pour la vente de produits andalous.[19] En 1160, par exemple, un marchand génois accepta de transporter des textiles andalous de Gênes à Bejaia en Algérie, tandis qu’un autre promis de transporter en 1197, des marchandises de Gênes à Bejaia, Oran, Ceuta ou Yspania.[20]
Le port de Malaga était un centre d’immense trafic, et fut visité par des commerçants de tous les pays, en particulier ceux des républiques mercantiles de l’Italie, les Génois en particulier.[21] La politique tolérante et éclairée des musulmans avait assigné aux Génois entreprenants, une banlieue qui était désignée par leur nom, remarque Scott.[22] Les grandes usines des marchands de l’Adriatique qui possédaient alors à cette époque, la plus grande partie du commerce mondial, bordaient les quais bondés de Malaga, et leur drapeau était toujours les plus visibles parmi les étendards des nations maritimes, dont les navires jetaient l’ancre dans la baie.[23] Les relations commerciales étendues et variées de cette république (Gênes) étaient ainsi intimement liées à ceux du principal port maritime du royaume de Grenade, Malaga. Par son portail passait constamment un trafic vaste et croissant, qui troquait les marchandises de tous les pays pour les soies, les armes, les bijoux, les poteries dorées et les délicieux fruits de l’Espagne.[24]
Parallèlement au reste du monde islamique, les tanières de soi-disant corsaires de l’Afrique du Nord jouèrent un rôle central dans la stimulation du commerce, ainsi que dans l’acquisition par l’Occident chrétien des compétences associées au commerce et à la finance modernes.[25] Les navires européens étaient généralement autorisés à entrer librement dans les principaux ports maghrébins jusqu’à Tripoli.[26] Ils avaient le droit d’acheter des vivres, de l’eau et des provisions ; à la protection des fonctionnaires locaux en cas de perturbations (tel que l’embarquement forcé) ; et par tout temps de se mettre à l’abri des tempêtes soudaines dans les ports nord-africains.[27] Il y avait des bureaux de douane dans les ports d’échanges. Ces bureaux non seulement surveillaient et facilitaient les échanges mais protégeaient aussi les marchandises et les personnes des marchands européens de la violence d’une population indisciplinés.[28] Les douaniers Maghrébins s’occupaient des marchandises chrétiennes déposées dans des entrepôts scellés appelés Foundouqs (établissements de stockage commerciaux ainsi que des auberges pour les commerçants) et les porteurs maghrébins transportaient ces marchandises, une fois dédouanées, vers les marchés appropriés pour la vente.[29] Le système permis aux navires visiteurs de terminer leurs activités dans un port donné en peu de temps, souvent plusieurs jours, tandis que les armateurs européens, confiants dans la fiabilité des agents maghrébins, agrandirent progressivement leurs entrepôts pour fournir des quartiers d’habitation et des bureaux pour leur représentants locaux ou agents. C’est ainsi que le service consulaire européen vit le jour en Afrique du Nord.[30]
[1] Whitworth Porter, History of the Knights of Malta, 2 vols., London, 1853, ii; p. 35.
[2] G. Fisher: Barbary legend; pp. 21-2.
[3] G. Le Bon: La Civilisation des Arabes; IMAG; Syracuse; Italie; 1884.
[4] M. Lombard: The Golden Age of Islam; Tr J. Spencer; North Holland Publishers; 1975.
[5] TW Arnold and A Guillaume Ed: The Legacy of Islam; 1st ed, Oxford; 1931.
SE Al-Djazairi: The Hidden Debt; op cit; part 3.
[6] G. Wiet; V. Elisseeff; P. Wolff; and J. Naudu: History of Mankind; Vol 3: The Great Medieval Civilisations; tr from French; G Allen & Unwin Ltd; UNESCO; 1975; p.161.
[7] G. Sarton: Introduction to the History of Science; 3 vols; The Carnegie Institute of Washington; 1927-48; Volume III; p.229.
[8] AL Udovitch: Trade, in the Dictionary of the Middle Ages; vol 12; Charles Scribner’s Sons; New York; 1980-; 107-8.
[9] Kammerer pp. 10-14, 1929; in G. Sarton: Introduction; Volume III. p.229.
[10]AL Udovitch: Islamic Sicily in Dictionary of the Middle Ages; Charles Scribners’ Son; New York; Vol 11; p.262.
[11]AL Udovitch: Islamic Sicily; p.262.
[12]AL Udovitch: Islamic Sicily; p.262.
[13]AL Udovitch: Islamic Sicily; p.262.
[14] OR Constable: Trade and Traders in Muslim Spain; Cambridge University Press; 1994; p.2.
[15] BM Kreutz: Before the Normans; University of Pennsylvania Press; Philadelphia; 1991; p.18.
[16] Ibid; p. 142.
[17] OR Constable: Trade and Traders; op cit; p. 97.
[18] Ibn Hayyan: Kitab al-Muqtabis fi tarikh al-Andalus; v; ed by P. Chalmeta et al (Madrid-Rabat; 1979), pp. 478-85.
[19] OR Constable: Trade and Traders; op cit; pp. 42-3.
[20] Giovanni Scriba: Il Cartolare di Giovanni Scribba; eds M. Chiaudano and M. Moresco (Roma; 1935), ii; p. 4; # 812.
[21] J. Bosch Villa: Malaga Encyclopaedia of Islam; second series; vol 6; 1991; pp. 220-3; at p. 220.
[22] SP Scott: History of the Moorish Empire; 3 vols; The JB Lippincott Company; Philadelphia; 1904; vol 2; p. 615-6.
[23] SP Scott: History; vol 2; p. 615-6.
[24] SP Scott: History; vol 2; p. 615-6.
[25] Janet L. Abu-Lughod: Before European Hegemony, p.67; see articles by U. Udovitch: Trade; Islamic Sicily; etc; op cit; see SE Al-Djazairi: Golden Age and Hidden debt.
[26] W. Spencer: Algiers in the Age of the Corsairs; University of Oklahoma Press; 1976; p. 8.
[27] W. Spencer: Algiers in the Age of the Corsairs; University of Oklahoma Press; 1976; p. 8.
[28] W. Spencer: Algiers in the Age of the Corsairs; University of Oklahoma Press; 1976; p. 8.
[29] W. Spencer: Algiers in the Age of the Corsairs; University of Oklahoma Press; 1976; p. 8.
[30] W. Spencer: Algiers in the Age of the Corsairs; University of Oklahoma Press; 1976; pp. 8-9.